Un secret de la politique étrangère française aux Archives Départementales

  • Blason de la famille Savary de Lancosme au xviiie siècle - © M. du Pouget 
  • Lettre codée signée d’Henri IV - © V. Baud 
Mise à jour :
3/3/2014 à 16 h 19
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"C’est un serpent que j’ai réchauffé dans mon sein », devait soupirer du fond de sa prison turque Jacques Savary de Lancosme, natif de Vendoeuvres en Brenne, que Henri III avait nommé en 1585 son ambassadeur à Constantinople : il avait emmené avec lui un lointain neveu, le jeune Nivernais François Savary de Brèves, âgé de 25 ans. Celui-ci avait appris la langue turque et s’était rendu indispensable. Mais il avait fini par faire emprisonner en 1589 son oncle, hautain, maladroit et surtout hostile au nouveau roi Henri IV, pas encore devenu catholique. Le sultan Mourad III ne badinait pas avec la soumission due au « plus glorieux magnanime et grand seigneur de la créance de Jésus, Henri quatrième, Empereur de France » !

L’habileté de François de Brèves fit vite oublier ces dissensions et il remplaça, comme résident, puis comme titulaire, son oncle qui eut le savoir-vivre de décéder rapidement (1591). Très apprécié des sultans Mourad III, Mehemet III et Ahmet Ier, qu’il accompagnait dans leurs expéditions, le nouvel ambassadeur obtint d’eux des privilèges ou « capitulations » pour les Français du Levant supérieurs à ceux de leurs concurrents anglais et vénitiens et la protection de tous les chrétiens de l’empire ottoman. Ce privilège restera à la France jusqu’en 1918. Il intervint aussi pour les Franciscains gardiens des Lieux saints et leur évita les persécutions des potentats locaux… et du clergé orthodoxe.

Mais François de Brèves était aussi chargé d’une plus haute mission diplomatique et ultra-secrète : depuis François Ier, le « Roi très Chrétien » avait une alliance avec « la Sublime Porte » pour prendre à revers l’Espagne et l’empereur germanique, qui, depuis Charles-Quint, menaçaient la France. En 1595, une lettre codée (qui arriva au bout de quatre mois) révèle les préoccupations d’Henri IV : en passe de se réconcilier avec le pape et de déclarer la guerre à l’Espagne, il a besoin d’une diversion à l’est, en Hongrie, sur les terres de l’empereur, ou en Méditerranée, avec les corsaires de Tunis et d’Alger, ces pirates « barbaresques », vassaux du sultan. Brèves n’obtint pas là de résultat tangible, projetant au contraire une alliance de tous les princes chrétiens contre la menace ottomane, armée européenne avant la lettre : voeu pieux, c’est le cas de le dire. Il quitta Constantinople en 1605, voyageant en Terre sainte, en Égypte et jusqu’à Tunis et Alger pour libérer des captifs : ce voyage mouvementé sera raconté par son secrétaire, Jacques du Castel.

Il revient en France, épouse la fille d’un riche parlementaire, est nommé au Conseil d’État du Roi. De 1608 à 1614, il est ambassadeur à Rome : à la cour pontificale, il défend contre l’Espagne et l’Empire germanique, ces Habsbourgs catholiques, mais menaçants, l’influence de la France. Sa connaissance du Moyen-Orient intéresse le pape Paul V qui multiplie les contacts avec les chrétiens orientaux et finance sans doute la Typographia Savariana, caractères d'imprimerie orientaux qui porte son nom : « j’ai depuis mon séjour en cette ville fait travailler soigneusement à des caractères arabesques, persiens et chaldées [syriaques] pour pouvoir faire imprimer ces trois langues », écrit-il. Il publie en arabe un Catéchisme (1613) et les Psaumes (1614).

UN GRAND SEIGNEUR
À son retour en France, la reine Marie de Médicis le nomme gouverneur (précepteur) de son fils puîné le duc d’Anjou, futur Gaston d’Orléans. Un moment écarté des faveurs de la Cour comme partisan de la Reine-Mère lorsque Louis XIII fait assassiner Concini, il reçoit de plantureuses compensations : une place au Conseil d’État, puis au Conseil des dépêches, des pensions, l’ordre du Saint-Esprit, l’érection de sa terre de Brèves en comté, la charge de premier écuyer de la Reine-Mère. Mais, comme l’écrit son contemporain le poète Malherbe, « la mort a des rigueurs à nulle autre pareilles » : elle l’atteignit au faîte de ses dignités.

Plus tard, au XVIIIe siècle, son beau château de Brèves en Nivernais, oeuvre de Salomon de Brosse, fut vendu par ses héritiers et transformé après la Révolution en tuilerie, puis morcelé. Quant à la lettre secrète d’Henri IV, elle fut conservée parmi les titres généalogiques de la famille et parvint aux Archives Départementales de l’Indre, dont elle constitue la pièce au retentissement le plus international !

CHRONIQUE Campane (d’où l’adjectif campanaire) est un ancien terme pour cloche : c’est de Campanie, région de Naples au sud de l’Italie, que proviendraient les plus anciennes cloches.

CHRONIQUE Il y a (presque) cent ans, le Journal officiel publiait la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Un nouveau régime était créé pour les immeubles "dont la conservation présente, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt public".

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